"Je ne pouvais plus sortir de mon lit le matin." Dans son livre
"Vous m'avez manqué. Histoire d'une dépression française" (Les Arènes),
paru début avril, le journaliste et éditeur Guy Birenbaum retrace ces mois
de 2014 pendant lesquels il a plongé. Et comment il a fini par retrouver la
surface, en partie grâce à des lectures dans lesquelles il s'est retrouvé.
Au début de son récit 'Tomber sept fois et se relever
huit', Philippe Labro raconte qu'il ne cesse de transpirer, sans comprendre ce
qui lui arrive. Exactement comme moi à ce moment-là. De même, en lisant
'Face aux ténèbres', où William Styron, suicidaire, décrit sa plongée
dans la dépression, à chaque page, je pouvais me dire : 'D'autres avant toi
sont passés par cet état.'"
Lire pour se connaître et aller mieux
Guy Birenbaum a pratiqué une forme de bibliothérapie sans le savoir ni même
connaître le mot. Lire pour se connaître ou aller mieux : le concept,
d'origine anglo-saxonne, commence à se développer en France.
Dès la rentrée de septembre, l'antenne parisienne de la
School of Life proposera ainsi des cours de bibliothérapie. Fondée à
Londres en 2008 par le philosophe Alain de Botton, cet établissement où l'on
apprend "tout ce qu'on n'a pas appris à l'école" propose de puiser
dans l'art et la littérature de "bonnes idées pour le quotidien".
La bibliothérapie y est déjà enseignée parmi des cours de développement
personnel plus classiques, de Comment faire durer l'amour à Devenir un
winner. Alain de Botton est un des piliers de la discipline depuis son
best-seller, en 1997, "Comment Proust peut changer votre vie"
(traduit en 2010 chez J'ai Lu).
Prescription sur mesure
"La vie est trop courte pour s'infliger de mauvais livres",
lit-on sur le
site de la School of Life à la rubrique Bibliothérapie.
Mais avec un nouveau livre publié toutes les 30 secondes, il
peut être difficile de savoir par où commencer."
Moyennant 80 livres sterling (110 euros environ), l'école propose à
ses disciples de trier pour eux le bon grain de l'ivraie.
L'élève commence par remplir un questionnaire sur ses goûts littéraires,
sa personnalité, ses soucis éventuels, quelques jours avant sa séance. Celle-ci
peut se dérouler autour d'une tasse de thé dans les locaux de l'école, situés
dans le quartier branché de Bloomsbury, ou par Skype. Après 45 minutes
de "consultation", on ressort avec une première ordonnance dressée
sur mesure, avant d'en recevoir une autre, plus détaillée, quelques jours
plus tard.
Sont également disponibles des séances de bibliothérapie pour enfant ou
pour couple, avec une prescription commune (un parfait cadeau de mariage ou de
Saint-Valentin, vante le site). Sur l'ordonnance, pas de livres de développement
personnel, mais plutôt du Shakespeare ou du Tolstoï. Romans, nouvelles,
contes ; classiques ou contemporains... Prônant dans son dernier livre l'art
comme thérapie, Alain de Botton croit aux bénéfices de la littérature, la
vraie.
(CCO/geralt
via Pixabay)
Bibliocoaching
Majoritairement, la bibliothérapie anglo-saxonne donne la part belle
aux livres d'auto-entraînement, ou self-help books, dans le cadre
des reading therapies. Emilie Devienne s'inscrit dans cette lignée.
Elle-même auteur de ce genre d'ouvrages, elle les propose au même titre que
des romans plutôt grand public, des biographies et des témoignages lors des
séances de bibliocoaching qu'elle donne depuis deux ans, à Paris et à
Aix-en-Provence.
J'étais déjà coach, on me demandait des conseils de lecture, je
me suis dit qu'il y avait quelque chose à monter."
Le programme se découpe en deux sessions individuelles de deux
heures chacune, facturées 400 euros au total. La première s'apparente à une
séance de coaching classique, agrémentée de questions sur les lectures du
client : un livre l'a-t-il marqué ? En quoi parle-t-il de lui ? Décrit-il
des situations qui l'ont agacé ? Le lendemain, il reçoit une liste de trois
ouvrages.
Du dilemme amoureux à la reconversion professionnelle
A Rémi, 34 ans, prof de maths tenté par une reconversion dans la
restauration, et qui ne parvient pas à choisir entre les trois femmes qu'il
fréquente simultanément, Emilie Devienne "prescrit" un roman
d'Eric-Emmanuel Schmitt, "Lorsque j'étais une oeuvre d'art", qui
montre qu'"on a plusieurs personnalités" et deux livres de développement
personnel "la Recherche de soi" et "Trouver sa place au
travail".
Lors de la seconde séance, ils parleront de ce qu'il a lu, de ce qui
lui est tombé des mains. Elle lui demandera quels passages l'ont marqué,
quels personnages il a aimés ou non, s'ils lui ont évoqué des membres de
son entourage, quelle suite il pourrait écrire. La bibliocoach, qui assure
une vingtaine de ces séances par an, estime :
Le livre est un prétexte pour continuer la discussion."
Vertus bienfaitrices du livre
Les livres de développement personnel ? Très peu pour Régine Détambel.
Dans son essai "Les livres prennent soin de nous" (Actes Sud), paru
fin mars, elle peste contre les publications "à l'eau de mélisse",
ces "titres convenus, qui n'ont jamais fait de mal à personne,
expliquant le plus rationnellement du monde comment ne pas se gâcher la vie
afin de retrouver le sommeil pour ne pas craquer au travail et savoir
s'affirmer".
Elle prône quant à elle une bibliothérapie "créative",
c'est-à-dire fondamentalement littéraire. Lors des formations d'une journée
qu'elle dispense à Montpellier, chez elle, ou en bibliothèque, l'écrivain
explique plutôt comment Hemingway et Goethe peuvent nous apaiser ou au
contraire nous réveiller, en tout cas "élargir nos existences étriquées
et toutes tracées".
Kiné de formation, elle est même persuadée des vertus
bienfaitrices du livre en tant qu'objet : la caresse du papier, la netteté
des caractères imprimés, l'odeur des pages neuves... Guy Birenbaum ne dit
pas autre chose :
Pour aller mieux, j'ai retrouvé le chemin du papier et de l'écriture
à la main, moi qui m'étais enfermé dans les écrans."
Le livre n'est pas mort, il bouge encore !
Anne-Sophie Hojlo